Sun Jul 01, 2007 4:05 pm
En l'état actuel , il n'est guère possible de se focaliser sur des scénarios "what if" si c'est au détriment des principales campagnes à construire ( Campagne 1805 ,fin de la 3eme coalition; Campagne de Prusse 1806 etc...) et donc à finir de préparer d'abord.
Cela n'empêche pas d'envisager ces scénarios "alternatifs" mais plutôt dans un deuxième temps.
Invasion de l'Angleterre , extrait d'un document de Philippe Masson :
L'opération semble débuter sous de bons auspices. Le 30 mars 1805, avec onze vaisseaux, Villeneuve réussit à sortir de Toulon. Il franchit le détroit de Gibraltar, avant d'être renforcé le 9 avril par les sept grands bâtiments de Gravina. Il a pu déjouer la surveillance anglaise. Toujours hanté par l'Égypte, Nelson est allé prendre position au large de la Sicile, tandis que l'amiral Orde devant Cadix a perdu le contact. Le 15 mai, Villeneuve arrive aux Antilles, sans rencontrer l'escadre de Rochefort déjà revenue en France. À l'annonce de l'arrivée à La Barbade de Nelson, revenu de son erreur, il appareille pour l'Europe. Le 2 août, après un engagement indécis avec Calder, il mouille à La Corogne. Muni de nouvelles instructions, prévoyant une concentration en Manche, Villeneuve appareil le avec vingt-neuf bâtiments. Il ne peut cependant établir le contact avec l'escadre de Rochefort. Invoquant le mauvais état de ses forces, il renonce à effectuer sa liaison avec Ganteaume à Brest et prend la décision capitale de rallier Cadix où il est presque immédiatement bloqué par les Anglais.
La manoeuvre destinée à effectuer une concentration franco-espagnole à l'entrée de la Manche se solde par un échec complet. Il n'y aura pas de débarquement en Angleterre. Depuis près de deux siècles, cette manoeuvre se trouve à l'origine de polémiques interminables. Certains ont voulu y voir une manifestation du génie de l'Empereur dont l'échec incombe uniquement à la pusillanimité de Villeneuve. D'autres, au contraire, ont jugé le plan inapplicable par ignorance élémentaire des choses de la mer.
En réalité, la manoeuvre de 1805, pas plus que l'expédition d'Égypte, n'offre rien d'original. Elle s'intègre dans la lignée des plans des débuts de la guerre d'Amérique, rédigés par Fleurieu, Vergennes ou le duc de Broglie. Toutes ces combinaisons reposent sur la dispersion des escadres anglaises et sur une concentration franco-espagnole en Manche. La manoeuvre de 1805 offre même une supériorité sur les projets antérieurs. La concentration concerne 75 % des forces alliées au lieu de 50 %.
Elle n'en présente pas moins de sérieuses déficiences. Tout d'abord, Napoléon ne cesse de modifier ses plans en cours d'exécution par toute une série de nouvelles directives, 11 au 14 avril, 23-29 avril, 3 avril-8 mai, 16 juillet... La plupart de ces directives ne parviennent pas à temps aux exécutants. L'empereur calcule d'une manière beaucoup trop optimiste la marche des frégates chargées de la transmission de ses instructions. Il table sur des traversées de l'Atlantique de trente jours, alors qu'il en faudra de trente-cinq à quarante dans les meilleures conditions.
Plus surprenant encore, il compte également sur des traversées de l'Atlantique en un mois pour la marche des escadres, alors que Villeneuve mettra cinquante-quatre jours pour rejoindre La Corogne depuis les Antilles et que Nelson, disposant pourtant d'une force beaucoup mieux entraînée dépassera largement les trente jours lors de son retour de La Barbade à destination de la Manche. Visiblement, le théâtre maritime avec ses vents et ses courants ne convient pas au tempérament impatient de Napoléon.
Au départ, c'est l'escadre de Brest commandée par Ganteaume et forte de vingt et un vaisseaux qui doit jouer le rôle principal. Elle gagnera les Antilles où elle sera rejointe par celles de Rochefort et de Villeneuve. En bonne logique, la concentration s'effectuera sur les arrières de l'ennemi. Plan modifié par les instructions du 30 avril-8 mai. Ganteaume reçoit l'ordre de rester à Brest et Villeneuve se voit attribuer le premier rôle. Après avoir atteint les Antilles, il devra retraverser l'Atlantique et rallier les forces navales de La Corogne, de Rochefort et de Brest. Contrairement à une règle bien établie, la concentration va s'effectuer au coeur du dispositif adverse.
Comme tous les plans de la guerre d'Amérique, la manoeuvre de 1805 repose sur un énorme contre-sens. La dispersion attendue des escadres de la Royal Navy n'intervient pas. Aucun renfort n'est envoyé dans l'océan Indien. Pas un seul grand bâtiment ne gagne la Méditerranée orientale. Neuf vaisseaux seulement sont dirigés sur les Antilles. En revanche, à chaque crise, avril-mai, avec la sortie de Villeneuve et juillet-août avec son retour sur les côtes d'Espagne, une concentration britannique intervient.
La consigne de l'Amirauté, dirigée alors de main de maître par le vieux Lord Barham âgé de quatre-vingt-deux ans, est appliquée à la lettre. « En cas d'incertitude sur les mouvements de l'ennemi, tout le monde devra se rallier sous Ouessant, de façon à couvrir l'entrée de la Manche. C'est là qu'il importe d'avoir la supériorité décisive, car si l'ennemi est maître du canal, l'Angleterre est perdue ».
Contre-sens aggravé encore par les indiscutables lacunes maritimes de Napoléon. En dépit des efforts de Decrès, l'Empereur n'a jamais pu admettre les conditions particulières et défavorables de la position de Brest. Villeneuve ne pouvait y accéder que par un vent du sud-ouest, interdisant la sortie de Ganteaume. Celle-là ne pouvait se produire qu'à la faveur d'un coup de vent d'est, qui aurait refoulé Villeneuve vers le large. De toute manière, compte tenu de l'étanchéité du blocus britannique, il était pratiquement impossible de prévenir Ganteaume à l'avance de l'arrivée de Villeneuve.
Napoléon n'arrive pas encore à admettre l'énorme supériorité manoeuvrière et tactique des escadres britanniques sur les forces alliées. Un vaisseau anglais vaut facilement deux à trois grands bâtiments français ou espagnols. La guerre d'Amérique avait aussi démontré l'extrême difficulté faire manoeuvrer une « flotte combinée » sans commandement unique, sans livre de signaux commun, associant des bâtiments de caractéristiques différentes.
Pour justifier sa décision du 16 août de rallier Cadix, Villeneuve sera amené à souligner le mauvais état des navires espagnols qui n'avaient pas navigué depuis des années et qui venaient d'être armés avec des équipages de fortune. « La flotte combinée, soulignera-t-il, n'offrait aucune cohésion. Il était donc impossible, dans ces conditions, de livrer devant Brest, une bataille générale... Il ne pouvait plus résulter que désastres, confusion et une vaine démonstration qui eut consommé pour, jamais le discrédit des deux marines alliées ».
Dans l'échec de la manoeuvre, on ne peut nier cependant la responsabilité des amiraux toujours envahis par le découragement. Ganteaume ne demande qu'à être relevé de son commandement. Ravalé au rang de simple agent d'exécution, Decrès est, lui aussi, profondément sceptique sur le succès de l'opération, d'autant plus que dès le printemps, le ministre de la Marine a la désagréable surprise de voir tout le plan français exposé dans certains journaux britanniques, comme le Morning Chronicle du 9 mai ou le Sun du 16.
La désignation de Villeneuve, proposé par Decrès, s'est enfin révélée néfaste. Depuis Aboukir, l'homme passe pour être « heureux ». Il ne manque pas de compétence et connaît bien son métier. À la tête d'une bonne escadre, il aurait pu obtenir des résultats valables. Mais, en 1805, il aurait fallu un improvisateur, un entraîneur d'hommes, capable de tirer le meilleur parti d'un matériel et d'équipages déficients et non un esprit sceptique, inquiet et chagrin.
Par une ironie de l'histoire, l'exécution de la manoeuvre de 1805 a quelque chose d'artificiel. Avec la formation de la troisième coalition associant l'Autriche et la Russie, il était trop tard. Même si Villeneuve avait effectué les jonctions attendues, remporté une victoire décisive au large de Brest, il ne pouvait arriver en Manche qu'à la fin du mois d'août. À ce moment, Napoléon venait de dicter à Daru le fameux plan qui allait conduire à la victoire d'Ulm. Il reconnaissait lui-même qu'il était contraint de courir « au plus pressé ».
À l'annonce de l'arrivée de Villeneuve, la colère de l'Empereur n'en est pas moins terrible et va retomber sur toute la marine. Dans une série de lettres adressées à Decrès depuis l'Allemagne, Napoléon passe au crible toutes les opérations de Villeneuve, pour conclure que l'homme est « un misérable qu'il faut chasser ignominieusement. Sans combinaisons, sans courage, sans intérêt général, il sacrifierait tout pourvu qu'il sauve sa peau ».
Le 13 septembre, avec un extraordinaire aplomb, il rédige la dernière pièce du procès : « Je voulais réunir quarante ou cinquante vaisseaux pour des opérations combinées... et me trouver pendant quinze jours maître de la Manche ». Si Villeneuve avait fait route vers Brest, « mon armée débarquait et c'en était fait de l'Angleterre ». Il a fait échouer un plan dont le succès était assuré. « L'ennemi a cru que je me proposais de passer de vive force, par la seule force militaire de la flottille. L'idée de mon véritable projet ne lui est point venue ». Mémoire de toute évidence destinée à la postérité et à ancrer le mythe du chef génial trahi par ses subordonnés.
Au cours des semaines suivantes, de nouvelles instructions pleuvent. Il escadre devra appareiller de Cadix, gagner les côtes du royaume de Naples, y débarquer des troupes. Napoléon tient à châtier la reine Marie-Caroline, la « coquine », coupable d'avoir adhéré à la coalition. Il tient aussi, comme le souligne Decrès à Villeneuve, à obliger la flotte à agir. « Il veut atteindre cette circonspection qu'elle reproche à sa marine, ce système de défensive qui tue l'escadre et double celle de l'ennemi. Voilà ce que veut sa majesté ; elle compte pour rien la perte de ses vaisseaux, si elle les perd avec gloire ; elle ne veut plus que ses escadres soient bloquées par un ennemi inférieur et s'il se présente de cette manière devant Cadix, elle vous recommande et vous ordonne de ne pas hésiter à l'attaquer ».
Ces ordres comminatoires constituent déjà pour Villeneuve une condamnation cinglante de tout son comportement. À cette injure, s'ajoutent les reproches violents de l'Empereur que Decrès a été obligé de transmettre en les atténuant au maximum. De même, le ministre attend-il le plus possible pour annoncer à Villeneuve son remplacement par 1'amiral de Rosily. Le malheureux amiral va l'apprendre par la rumeur publique
La mort est un mur, mourir est une brèche.